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Qu’est-ce la vystopie ?

Sophia Salhi
Le 23 mars 2023

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Trouver des alternatives en cuisine, ne plus porter de cuir ou choisir des cosmétiques cruelty free, c’est un pli à prendre au quotidien, une habitude pratique. Mais se pencher sur le traitement subi par les animaux, c’est une claque émotionnelle. Des sentiments forts et nouveaux dont chaque personne vegan a déjà plus ou moins fait l’expérience. Décryptage.

Un article à retrouver dans le n°1 de Culture V.

Qu’elle dure des jours, des semaines ou des mois, cette épiphanie peut être perçue par l’entourage comme de la sensiblerie. Il s’agit pourtant d’un réel traumatisme, comme l’explique la psychologue australienne Clare Mann, autrice d’un ouvrage sur le sujet intitulé Vystopia : The Anguish of Being Vegan in a Non-Vegan World. L’autrice ne se contente pas seulement d’y analyser les causes et mécanismes de ce phénomène, elle propose aussi des pratiques visant à transformer cette angoisse dévorante en action efficace pour contribuer à l’avènement d’un monde meilleur.

Une sorte de crise existentielle 

C’est une période intense qui ronge chaque jour un peu plus, qui mêle impuissance, incompréhension, colère, isolement, voire dégoût pour ce monde à la violence industrialisée. La déprime des jeunes vegan, en d’autres termes. Et il y a désormais un néologisme pour nommer ce sentiment. « Vystopia », contraction de « vegan » et « dystopia » (dystopie en français), est un terme qui tente de décrire les symptômes psychologiques ressentis par certaines personnes qui choisissent le véganisme pour des raisons éthiques. Le mot, inventé en 2017, s’applique aux individus qui prennent conscience de la réalité spéciste du monde, où le gouvernement, les entreprises et la plupart des humain·es sont complices de l’exploitation et de la torture quotidienne des animaux.

Dans une enquête que Clare Mann a menée auprès de 815 personnes vegan, 83 % ont déclaré souffrir ou avoir souffert de symptômes de vystopie. La psychologue (elle-même vegan et activiste depuis 1975) souhaite faire reconnaître la vystopie par la communauté de la psychologie. « Beaucoup de personnes atteintes du problème de vystopie sont diagnostiquées à tort, explique-t-elle, comme étant atteintes de troubles de l’alimentation, d’une inadaptation sociale ou d’autres problèmes. » Une bévue selon la psy : « Les personnes souffrant de vystopie éprouvent des symptômes associés à la dépression, à l’anxiété, au trouble de stress post-traumatique [PTSD] ». Mann pense que ce traumatisme particulier devrait être reconnu comme une condition unique.

Se sentir moins isolé·e 

Freud écrivait que, pour vivre avec l’angoisse de la mort, la plupart d’entre nous choisissons de faire semblant de l’ignorer. La dystopie vegan, si traumatisante, l’est justement car elle résulte d’une confrontation brutale avec la mort. Mann ajoute : « Je dirais que les gens qui s’opposent au véganisme font exactement la même chose [ils choisissent d’ignorer la mort des animaux dont ils consomment la chair]. Il leur est plus facile de ne pas être confrontés aux problèmes de cruauté envers les animaux. Mais les vegan ont cette sensibilité, et ils vivent avec, tant bien que mal. »

La psychologue aimerait faire en sorte que les vegan, aux quatre coins du monde, voient leur expérience validée, se sentent moins isolé·es et comprennent que ce passage est surmontable. « J’aimerais que les vegan qui lisent mon livre, ou entendent parler du concept de ”vystopie” se disent : “C’est exactement ce que je ressens !” ». En plus d’avoir aidé des personnes vegan (95 % de ses patient·es le sont) à naviguer en terre vystopique, Mann a aussi reçu dans son cabinet de consultation des personnes souffrant de vystopie non vegan, ayant par exemple travaillé dans des abattoirs, et même, des professionnel·les de l’élevage.

En pleine « crise de vystopie », l’avènement prochain d’un monde débarrassé de son spécisme paraît bien difficile à imaginer. Une personne devenue vegan et traversant cette phase se sentira peut-être encline à sensibiliser son entourage à la cause animale. Mais mue par la tristesse, la colère et l’incompréhension, cette personne pleine de bonne volonté peut provoquer chez le ou la destinataire l’effet inverse, et le ou la faire fuir. Selon la psychologue, la communication autour de la question de la cause animale est primordiale. Et pour parvenir à sensibiliser efficacement l’entourage, « la personne doit d’abord se sortir — ou du moins s’éloigner — de sa douleur vystopique, pour transmuter l’angoisse en force motrice », et apporter sa pierre à l’édifice de la libération animale.

De la vystopie à l’utopie 

« Je crois qu’il est possible de sortir de cette douleur, poursuit Clare Mann. Cela semble être particulièrement difficile pour certain·es vegan sceptiques qui pensent que la cruauté n’en finira jamais, et qu’un monde vegan est une douce utopie. » Si des sceptiques lisent ces lignes, c’est le moment de mentionner un concept intéressant et pourvoyeur d’espoir. Il s’agit de « l’effet d’entraînement ». « Ce concept signifie que le changement est exponentiel. Lent, mais exponentiel. » Ainsi, à mesure que de plus en plus de gens se définissent comme vegan, la sphère d’influence grandit, se propage et se développe. Il y a déjà toutes les preuves numériques de l’expansion du véganisme dans le monde entier, avec un nombre toujours croissant de personnes vegan, les restaurants traditionnels qui incluent des options végétaliennes dans leurs cartes, etc.

« Nous avons toutes et tous la capacité d’inspirer une certaine forme de changement autour de nous. Bien que nous ne voyions pas de résultat instantané, le style de vie que nous avons choisi et les conversations que nous avons eues ont des répercussions sur notre entourage, proche ou lointain. » L’effet d’entraînement agit comme un ricochet. Imaginez que chacun·e d’entre nous dépose une goutte dans ce bassin d’influence. Les personnes non vegan ne vont pas immédiatement intégrer le message, mais après une exposition répétée à l’idée de l’antispécisme, le déclic peut se faire, et les yeux enfin s’ouvrir.

S’orienter vers des changements positifs tout en modifiant le style de communication atténuerait la vystopie, mais aide aussi et surtout à créer un monde vegan, pas à pas, et goutte à goutte. « Il ne s’agit pas seulement d’éduquer les gens sur la cruauté envers les animaux. Il s’agit de leur montrer comment nous avons toutes et tous été dupé·es à ne pas poser de questions sur l’équité, la justice sociale, la gentillesse et la compassion envers les animaux, les gens et la planète », déclare Clare Mann.

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