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Comment réapprendre à s’ennuyer (et développer sa créativité) ?

Charlotte Tortat
Le 1 février 2024

S’ennuyer, autrement dit ne rien faire d’intéressant, aurait pour effet d’augmenter notre créativité. Psychologues et psychiatres le confirment, davantage d’idées créatives naissent lorsque nous nous ennuyons. Une bonne raison pour ralentir et nous déconnecter des injonctions à la productivité.

Comment un temps d’attente peut libérer l’esprit

Cette semaine, je me suis rendue chez le dentiste (un contrôle de routine). Juste avant mon rendez-vous, je me suis retrouvée dans un canapé brun caramel, dans la fameuse « salle d’attente ». Pour occuper ce temps, j’ai failli dégainer mon téléphone pour consulter mes messages ou chercher quelque info intéressante. Je me suis retenue. Pourquoi ? La créativité me passionne et j’ai conscience que nous avons, toutes et tous, besoin de temps de vacuité pour mieux créer, justement. Ce que j’appelle le « rien créatif ».

Il y a, en italien, un joli mot pour qualifier cet état : le « farniente », littéralement l’art de ne rien faire. Ne rien faire chez soi, regarder la cime des arbres depuis un hamac, attendre que le temps passe sur un quai de gare, regarder le paysage depuis la vitre du train, ne pas être productif pour un sou : les moments où l’on s’ennuie permettent de vivre à un rythme décalé et de libérer l’esprit de toutes contraintes.

Comme l’explique Chris Lewis dans Too Fast To Think : « Pour générer les meilleures idées, il faut savoir faire une pause : chacun peut développer son potentiel créatif et apprendre à innover. La créativité est un état d’esprit. Il faut être capable d’être confronté à l’oisiveté sans angoisse et laisser son esprit vagabonder. S’autoriser à s’ennuyer, c’est s’autoriser à imaginer et créer. »

J’ai donc choisi d’expérimenter ces 10 minutes d’ennui, dans cette salle d’attente, consciente que cela serait sans doute une bonne chose. Je me suis retenue de saisir mon téléphone et j’ai patienté. Finalement, ce n’était pas si inconfortable, c’était même plutôt relaxant.

Une connexion au monde extérieur et des idées qui affluent

Puis, j’ai tendu l’oreille et remarqué la chanson de Simon & Garfunkel, au son assez discret, qui sortait d’une enceinte. The sound of silence, le son du silence… À notre époque où tout est bruit, image, création de contenus, et où l’occupation pour le travail, la maison, le loisir, est quasi constante, réapprendre à « goûter » l’ennui nous ramène à l’essentiel, en mode « slow », et permet à notre pensée de s’activer hors cadre, sans but ni frontières.

Quant à ma créativité, pendant ces 10 minutes à « ne rien faire », elle s’est bel et bien réveillée. Passant d’un sujet à l’autre, mon esprit s’est mis à vagabonder et les idées à germer sur différents sujets : des thématiques pour de prochains articles, un plat pour le dîner, des pensées amusantes sur le chignon de la patiente discutant avec la secrétaire médicale…

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Ce flot d’idées est un effet direct de l’ennui

Une étude publiée en 2019 par la revue Academy of Management Discoveries l’a démontré. Les chercheurs ont demandé à un groupe de personnes de trier un bol de haricots par couleur, un à un ; un autre groupe a pratiqué une activité artisanale stimulante. Puis il a été demandé aux volontaires des deux groupes d’inventer une excuse crédible pour justifier un retard. Résultat : le groupe qui s’est adonné à une activité ennuyeuse (le tri de haricots) a trouvé des excuses beaucoup plus créatives que le second groupe.

Sandi Mann, chercheuse en psychologie à l’université de Centrale Lancashire, au Royaume-Uni, explique que lorsque nous nous ennuyons (soit en ne faisant rien du tout, soit en faisant une tâche rébarbative), notre cerveau cherche de lui-même de quoi se stimuler et emprunte des chemins inattendus.

Pour la chercheuse britannique, l’ennui est loin d’être négatif ou affreux, elle le voit au contraire comme le lieu d’une inspiration fertile. Ainsi, faire un trajet dans les transports peut être une opportunité parfaite pour se laisser aller à une rêverie et observer la danse des idées.

« Like A Rolling Stone » de Bob Dylan est née d’une période d’ennui

Pour les artistes aussi, les périodes creuses, quoique difficiles à vivre, s’avèrent souvent fertiles. Une anecdote l’illustre parfaitement : en 1965, Bob Dylan, figure légendaire de la musique folk, vient de terminer une tournée difficile. Tenaillé par le doute et l’incertitude, il trouve « tout ennuyeux », ses propres chansons ne font plus sens pour lui. Il songe alors à arrêter sa carrière. Il loue une cabane en bois, à Woodstock, pour faire le point et uniquement écrire. Sans sa guitare. Et c’est à cet endroit qu’est née Like a rolling stone, l’une des chansons les plus marquantes de l’histoire musicale.

C’est aussi le cas de la dessinatrice de BD Pénélope Bagieu qui, entre chaque création, a besoin de faire le vide et, littéralement, de ne rien faire pendant de longues journées, jusqu’à ce que l’inspiration pour un nouveau projet revienne. Elle explique comment elle a apprivoisé ce besoin de « rien » et de lenteur dans cet épisode du podcast Inspiration créative ! de Killian Talin.

5 idées pour réapprendre à vous ennuyer

  • Profitez des transports pour faire le vide : pendant votre prochain trajet en bus, tram, métro, prévoyez de ne rien faire du tout. Ni livre, ni téléphone sous les yeux, restez simplement disponible à ce qui viendra à votre esprit.
  • Lancez-vous dans une tâche rébarbative telle que plier du linge et le ranger, faire la vaisselle, peaufiner un tableau Excel, classer du courrier… Ne les considérez plus comme des corvées mais comme de véritables « pauses du cerveau ».
  • À la maison, choisissez le minimalisme : simplifiez votre vie en possédant moins d’objets. Cela permet d’avoir moins à faire donc, plus de temps pour penser, rêver ou paresser.
  • Faites une journée par mois de détox digitale : aucun écran, même pour vérifier la météo ou chercher une recette. Ce jour-là, vous ferez autrement : vous contemplerez le ciel pour évaluer le temps et ressortirez vos livres de cuisine pour trouver l’inspiration. Vous verrez que vous pensez et vivez différemment les jours « sans écrans » (et qu’en plus, vous aimez cela !).
  • Marchez sans but : flânez sans rien chercher en particulier, connectez-vous à vos 5 sens, au monde extérieur et laissez se dérouler le fil de vos pensées.
  • Bonus : gardez à portée de main un carnet pour noter, en mots ou en dessins, les idées qui surgiront pendant ces moments d’ennui volontaire (il serait dommage de laisser de belles idées repartir aussitôt d’où elles viennent).