Coline Burckel, créatrice de mode, s’est lancée le défi de trouver des matières innovantes répondant à des critères éthiques, aussi bien pour l’humain que pour les animaux. Dans les mouvances de la slow fashion et du véganisme, sa marque de chaussures Cémélé fait rimer écologie et innovation.
Vous travaillez dans la mode depuis plusieurs années, depuis quand vous intéressez-vous aux alternatives naturelles et vegan ?
Coline Burckel : Il y a à peu près quatre ans, j’ai commencé à me questionner sur les matières que nous utilisions. Le cuir ne me satisfaisait pas à cause de son éthique, et à la place nous utilisions du faux-cuir fabriqué en Chine mais je me suis demandé s’il n’était pas possible de faire autrement. À partir de là, j’ai commencé à me renseigner auprès des fabricants de matières dans les salons professionnels.
À quel moment avez-vous eu le déclic de créer Cémélé ?
En travaillant pour les autres et en voyant que tout le monde n’était peut-être pas assez sensible à ces questions d’éthique dans l’industrie de la mode. Si je voulais faire bouger les choses, je devais moi-même donner de mon temps et faire mes recherches pour convaincre. Il fallait commencer maintenant pour préparer des alternatives pour demain.
Quels ont été les principaux obstacles rencontrés pour ce projet ?
J’ai voulu être exigeante. La tâche n’était pas facile en voulant remplir des critères vegan, naturel tout en sachant d’où viennent et comment sont fabriquées toutes les matières. Celles-ci devaient être fabriquées près de la France et non dans des pays qui ne respectent pas le droit social et les droits de l’Homme. Le temps a été le plus grand frein : trouver les bonnes matières, pouvoir investir dans des quantités minimum pour les tester et se lancer. Ça m’a pris deux ans pour arriver à un prototype.
« Le cuir ne me satisfaisait pas à cause de son éthique, et à la place nous utilisions du faux-cuir fabriqué en Chine, mais je me suis demandé s’il n’était pas possible de faire autrement »
Vous utilisez des matières innovantes, pour remplacer le cuir et les éléments issus de la pétrochimie. Comment les avez-vous découvertes ?
J’ai dû rencontrer différentes personnes avant de trouver les bons partenaires, qui sont habitués à travailler du cuir, des matières plastiques et qui acceptent de se lancer dans l’aventure et de travailler des petites quantités et des nouvelles matières. C’est passé par des voyages en proche Europe : Italie, France, Espagne. Mais les professionnels se déplacent beaucoup en France, dans les salons professionnels, ça facilite les échanges. Eux aussi essayent d’apporter quelque chose à l’industrie de la mode.
Comment sont-elles créées ?
Celle qui m’a le plus séduite, est une feuille de bois rendue souple par une gravure au laser, on voit toutes les veines tout le dessin. J’ai tout fait pour créer une chaussure dans cette matière là. Ce qui est aussi très intéressant, ce sont les faux cuirs à base de fruits, comme le raisin. Ce n’est pas encore industrialisé mais ça ressemblerait à une pâte de fruit.
Est-ce plus compliqué de travailler ces matières pour obtenir une chaussure ?
On redevient technicien, on découvre une matière, ce qui arrive souvent dans la mode. Il faut se reposer des questions, piocher un peu dans la manière dont on travaille le cuir pour retrouver les bonnes manières de faire, les tester. J’ai dû piocher dans les techniques de couture du vêtement pour celles que j’ai choisies.
« Il faut piocher un peu dans la manière dont on travaille le cuir pour retrouver les bonnes manières de faire, les tester »
Y a t‑il des choses que vous ne pouvez pas faire ?
Il a certaines limites, comme pour toutes les matières. Le cuir a une élasticité naturelle, c’est ce qui est le plus difficile à retrouver. On l’apporte par d’autres solutions, techniques, mécaniques, comme placer les coutures différemment. Grâce à ça, les chaussures sont tout aussi résistantes que les autres, et plus encore. Les personnes qui ont fait les patrons de la chaussure, qui travaillent les matières ont l’envie de faire des beaux produits, qui durent dans le temps. Nous ne voulons pas faire du jetable.
En utilisant le terme vegan, qui est encore un peu stigmatisé en France, même si c’est en évolution, vous n’avez pas peur d’être catégorisée ? Que certaines personnes se disent que ça ne les intéresse pas ?
J’ai énormément discuté avec tous celles et ceux que je rencontrais pour être sure que ça n’exclue personne. C’est important de dire que c’est vegan, pour en parler et dire ce que c’est et pourquoi. C’est une invitation à la discussion. La qualité de fabrication et la noblesse des matières sont aussi bien mises en avant, ce qui peut parler à certains. Beaucoup de nos clients sont des personnes qui sont sensibles à l’environnement et à la qualité des savoir-faire, l’innovation et le design.
Comment pensez-vous vos créations ?
Je ne vais pas forcément les quatre saisons de la mode en renouvelant tout le temps les collections. Je verrai en fonction des demandes et de ce que pensent les clients. L’ambition est d’avoir une majorité de modèles qui peuvent être portés aussi bien par les hommes que par les femmes.
Quels sont vos projets pour Cémélé ?
Développer les nouveaux modèles et les sortir pour l’été et tester des nouvelles matières. La deuxième étape est de chercher et trouver des revendeurs ! C’est un souhait de la part de tout le monde de retrouver notre marque en boutique pour essayer les modèles.