Cette fibre intéresse de plus en plus l’industrie textile qui, pointée du doigt pour la pollution et les surstocks qu’elle génère, réfléchit à de nouvelles pistes de production.
Une histoire du lin
Dès le mois de mars, les cultivateur·rices du lin sèment les graines qui cent jours plus tard, à la mi-juin, donnent naissance à de grands parterres de petites fleurs bleues. C’est alors qu’ont lieu l’arrachage et l’étape fondamentale appelée « rouissage » qui consiste à faire sécher la plante humidifiée par l’eau de pluie, au soleil. La fibre est ensuite extraite dans une usine de teillage à partir de la plante, achetée aux exploitant·es avant que n’interviennent les étapes de tissage puis de confection.
Dans le passé, jusque dans l’Antiquité, on retrouve des traces du lin textile. En Égypte, il était prisé pour sa légèreté et coupé en voile fin drapant notamment le corps de Cléopâtre. Il enveloppait également le corps des défunts. C’est bien plus tard, au XIXe siècle, que la délocalisation des filatures en Europe de l’Est a cassé la chaîne de production. Avec l’arrêt des importations internationales pendant les mois de confinement et dans la foulée de la remise en activité d’ateliers pour la production de masques, certaines entreprises ont décidé de relocaliser une partie de leur activité. Outre l’entreprise Safilin qui a décidé de se réinstaller dans le nord de la France, après avoir délocalisé en Europe de l’Est, trois autres implantations sont prévues en France (à l’initiative du groupe Natup avec l’installation d’une filature en Normandie) et au Portugal.
L’écologie au cœur des processus créatifs
Contraints par les volumes de matière et soucieux de limiter les impacts de la production textile, les nouveaux stylistes comme Tim Suessbauer, Valentin Lessner ou Juha Vehmaanperä, jonglent naturellement entre les stocks dormants de grandes marques, l’upcycling et le recours à des matières naturelles. Cela répond moins dans leur esprit à une volonté de cocher des cases de bonne conduite que d’intégrer de nouveaux réflexes vertueux, de changer l’approche créative, de partir de la matière et d’en explorer les possibles. Or depuis plusieurs saisons, le lin, fibre végétale européenne, intéresse de plus en plus les créateur·rices de mode.
Une matière locale d’avenir
Il faut replacer cet engouement dans le contexte des recherches entamées par l’ensemble de l’industrie textile pour trouver des pistes alternatives à l’utilisation massive du coton, trop gourmand en eau mais qui reste majoritaire avec le polyester.
Toutefois, en chiffres, le lin ne fait pas encore le poids. Avec 0,4 % de l’offre mondiale de fibres textile, il intéresse davantage pour des pistes d’évolution. Un processus qui s’est néanmoins accéléré au moment de la crise sanitaire, porté par la vague de relocalisation encore très progressive de petites poches industrielles ici et là. Or l’un des avantages du lin est qu’il pousse à nos pieds, en Europe, de la Normandie aux Flandres, offrant en quantité une vraie réponse locale à la quête de nouveaux matériaux. Premier producteur de lin au Monde, l’Europe concentre le gros de la production et la France avec 80 % du lin européen et 50 % du lin mondial se range en bonne place.
Les marques investissent dans le lin
À l’image du Slip français qui utilise le lin dans ses collections depuis plusieurs années sous forme de sous-vêtements, t‑shirts et chemises, nombre de marques de prêt-à-porter parmi lesquelles DA/DA, Vanessa Bruno, Agnès b., Uniqlo apprécient ses propriétés thermorégulatrices. La fibre conserve la chaleur en hiver et absorbe l’humidité en été. Ce qui explique son utilisation sous forme de lin lavé dans les nombreuses déclinaisons de linge de maison.
Soucieuse de produire dans l’Hexagone, une marque comme Embrin a mis le lin au cœur de son offre. Les créateurs, installés dans une ferme familiale en Normandie à Ambrumesnil contrôlent ainsi toute la chaîne de production depuis leurs champs jusqu’aux produits finis vendus sur place et en ligne. Même le processus de vente est repensé, avec un souci de pédagogie puisque la boutique atelier se visite et on y retrace toute la culture du lin jusqu’au produit fini.
Quand bien même de par les volumes utilisés à ce jour, le lin ne peut remplacer le coton à court terme, son intégration dans les processus créatifs des stylistes et de nombre de marques de prêt-à-porter est annonciatrice de nouvelles pistes de production et d’un retour de la matière au centre de tout développement de création.