Le perfectionnisme peut devenir un piège redoutable. Parfois, il m’arrive d’en faire trop, beaucoup trop. Je me place la barre très haut. Cela vous arrive-t-il, à vous aussi ? Être exigeant·e avec soi-même et se fixer des objectifs ambitieux, pourquoi pas. Mais lorsque cette exigence devient excessive, elle peut générer du stress, une auto-critique permanente, de la procrastination ou un surinvestissement émotionnel, parfois jusqu’au burn-out.
Ce perfectionnisme, souvent invisible, nous pousse à en faire toujours plus — jusqu’à l’épuisement parfois. Alors, comment apprendre à s’assouplir, à reconnaître ses limites et à accueillir l’imperfection sans culpabilité ?
Une anecdote personnelle
Il y a quelques années, alors que j’étais jeune maman, (et que j’aurais été mieux avisée de me laisser une paix royale), une grande pression s’emparait de moi dès que nous recevions chez nous des ami·es. À mes yeux, tout devait être parfait : une maison rangée, parfaitement accueillante, des plats déclinés de l’entrée au dessert, une ambiance chaleureuse, avec bougies et musique jazzy… Je suis pourtant bien loin d’être la reine de l’organisation et de la gastronomie. Cependant, j’étais persuadée que nos invité·es ne pourraient pas profiter de leur soirée si nous ne cochions pas toutes les cases de la perfection (telle que je l’imaginais).
Résultat : cette pression de perfection qui m’envahissait, je l’imposais aussi à mon conjoint, et nous avions souvent des prises de bec avant l’arrivée des convives. Et puis, finalement, la perfection désirée n’était jamais atteinte. Je me dépréciais et me sentais frustrée.
Avec le temps et la pratique, j’ai compris que ce perfectionnisme m’apportait surtout du négatif : le stress, les conflits, le sentiment d’inaccomplissement et l’incapacité à profiter du moment présent. J’ai alors décidé de baisser mes exigences et de lâcher prise. Pourquoi ne pas faire un seul plat, après tout ? Le dessert, on peut très bien le confier au pâtissier. Et si on rangeait simplement, sans viser le graal de la perfection ?
Ces petits lâcher-prises successifs m’ont permis de retrouver une certaine sérénité. Je me suis surtout rappelé l’objectif de départ : c’était de passer un moment chaleureux et simple avec nos amis, ni plus, ni moins. Bien sûr, je pouvais les recevoir de mon mieux, créer une belle ambiance, concocter des plats aux saveurs agréables, mais en aucun cas il ne s’agissait de réaliser des exploits.
Mais qu’est-ce que c’est, le perfectionnisme, exactement ?
Le perfectionnisme peut se définir comme une tendance à vouloir tout faire avec un souci très élevé de la perfection. En psychologie, il consiste à se comporter comme si la perfection pouvait et devait être atteinte. Ce phénomène psychologique s’accompagne souvent de la peur de l’échec ou du jugement. Les personnes perfectionnistes fixent des standards extrêmement élevés pour elles-mêmes et parfois pour les autres, ce qui peut générer des sentiments de frustration, d’insatisfaction et même de stress ou d’anxiété. Elles acceptent avec difficulté l’idée de faire des erreurs ou de réaliser un travail juste « suffisant » au lieu de « parfait ». Leur recherche de perfection peut les empêcher d’avancer ou d’accomplir certaines tâches.
Deux formes distinctes de perfectionnisme
Il existe principalement deux formes de perfectionnisme, définis par la recherche en psychologie : le perfectionnisme adaptatif, qui est un schéma plutôt positif, car la personne utilise sa recherche d’excellence pour se fixer des objectifs élevés, travaille sans relâche pour atteindre le succès, mais elle parvient à se réguler en acceptant que la perfection n’est pas toujours réalisable ; en revanche, le perfectionnisme maladaptatif mène la personne à être obsédée par l’idée de tout contrôler et à vouloir éviter toute erreur. Cette forme de perfectionnisme peut conduire à des niveaux très élevés de stress, une faible estime de soi et parfois des problèmes de santé mentale comme la dépression ou l’anxiété.
Les chercheurs canadiens Paul Hewitt et Gordon Flett expliquent que le perfectionnisme est l’un des traits de personnalité qui rend le moins apte à composer avec le stress et rend très vulnérable. Ils ont observé que les perfectionnistes sont sous un stress constant qui les rend plus sujets à des problèmes émotionnels, physiques et relationnels sérieux.
Selon la chercheuse et autrice américaine Brené Brown, le perfectionnisme est un mécanisme de défense auto-protecteur. En quelque sorte, en voulant tout faire parfaitement, nous essayons de minimiser ou d’éviter les sentiments douloureux que sont la honte, le jugement, l’échec ou encore le blâme.
Ainsi, comme l’ont montré les psychologues Hewitt et Flett, être perfectionniste à l’excès peut mener à des comportements délétères. Cela peut avoir un impact négatif à la fois sur soi-même et sur son entourage.
Les situations de perfectionnisme
Si c’est votre cas, vous vous reconnaîtrez peut-être dans certaines de ces situations :
- Vous êtes excessivement critique envers vous-même.
- Vous évitez les situations que vous ne maîtrisez pas parfaitement.
- Vous doutez de vos compétences.
- Vous procrastinez.
- Vous passez trop de temps sur un rapport que personne ne lira.
- Vous vous surinvestissez émotionnellement.
- Vous évitez de déléguer, persuadé·e de faire mieux et plus vite seul·e.
- Les échecs vous affectent profondément et nuisent à votre estime de vous.
- Vous avez du mal à profiter du moment présent car vous êtes souvent dans le contrôle.
- Vous placez une pression élevée sur vos proches (enfants, conjoint·e), sans le vouloir.
Comment vous en sortir ? Comment devenir plus souple avec vous-même ?
Apprendre à tolérer l’imperfection (chez vous et chez les autres)
Vous pouvez appliquer cette règle simple : « Fait vaut mieux que parfait ». Cela permet d’éviter de longs atermoiements et de lâcher prise sur des attentes irréalisables. Il suffit de faire la tâche simplement. Un résultat assez bon, c’est déjà ce qu’il faut, ni plus ni moins.
Comment apprendre à tolérer l’imperfection ? Rappelez-vous que vous n’êtes pas ce que vous faites. Autrement dit, vos réalisations ne vous définissent pas. Que vous échouiez ou réalisiez quelque-chose de « pas assez bien » (à vos yeux), cela ne change pas votre valeur. Comprendre cela vous enlèvera une certaine pression.
Exercice N° 1 : créez votre journal de l’assez-bien
Procurez-vous un carnet, simple et de bonne facture, agréable à utiliser. Chaque jour, notez les tâches accomplies et qui étaient « assez bien », même si tout n’était pas parfait. Les noter chaque jour vous aidera à conscience de vos avancées. Vous porterez également un regard neuf et plus positif sur ce que vous faites d’imparfait au quotidien. Célébrez ces petites avancées comme autant de petites victoires.
Exercice N°2 : changez de perspective avec ces 3 questions
Face à une situation « imparfaite », demandez-vous :
1) Quelle importance aura-t-elle dans un an ?
2) Comment un.e ami bienveillant·e verrait-il/elle la situation ?
3) Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un d’autre dans la même situation ?
Revoir vos exigences à la baisse et choisir des objectifs réalistes
Une autre étape, pour sortir de ce perfectionnisme négatif, c’est de prendre conscience que vous nourrissez des exigences trop élevées (qui peuvent provenir de la société, de votre entourage ou de vous-même).
Une fois que vous aurez identifié la nature de ces exigences, que vous aurez compris comment votre perfectionnisme s’exprime, vous pourrez passer à l’étape suivante : choisir des objectifs plus réalistes et atteignables.
Exercice n° 3 : traquez ces moments où vous vous mettez la pression
Pour commencer, vous pouvez lister dans un carnet les moments où vous remarquez que vous vous placez la barre haut. Notez-les au fil de la journée, à chacune de ces fortes pressions de réussite.
Par exemple, vous pourrez noter : « lorsque j’ai participé à ce cours de dessin, je n’ai pas pu apprécier le moment car je me suis trouvée totalement nulle à côté des autres personnes plus expérimentées. Avec moi, c’est tout ou rien. Je mal vécu le fait de ne pas progresser aussi vite qu’elles. » ; « la dernière fois que j’ai dû faire une présentation devant mes collègues, j’ai passé une nuit blanche à préparer. Je me sentais incapable de présenter quelque-chose d’inabouti. Il fallait que ce soit nickel. », etc.
Ce recensement d’anecdotes vous permettra d’identifier les champs dans lesquels votre perfectionnisme est le plus aigu : le travail, la maison, le ménage, l’éducation des enfants, les loisirs…
Exercice N° 4 : donnez-vous de petits objectifs
Il s’agit de vous fixer des buts réalisables et d’avancer par petits pas. Concentrez-vous sur le chemin.
Si vous voulez atteindre un objectif, comme par exemple, organiser une fête surprise pour votre amoureux.se, commencez par lister chaque petite étape qui vous mènera jusqu’au jour J. Fixez-vous des dates butoirs. Pour cela, vous pouvez utiliser des outils d’organisation en ligne comme Trello ou Notion. Et pour ne pas surchauffer et retomber dans le perfectionnisme, demandez de l’aide : déléguez ce que vous pouvez déléguer. Cela vous permettra d’avancer de façon plus apaisée.
Exposez-vous à des situations où vous risquez l’imperfection
Pour apprendre à vous détacher de la perfection, le psychologue américain Randy Frost recommande de vous exposer progressivement à des situations dans lesquelles vous risquez de ne pas être « parfait·e ». Dans ces situations, vous allez probablement ressentir des émotions négatives et vous allez sans doute vous juger, mais il s’agit, en vous exposant, d’apprendre à accepter l’inconfort lié à l’imperfection.
Exercice N°5 : défiez-vous en entamant de nouvelles activités
C’est en faisant régulièrement des activités totalement inédites pour moi que j’ai pu apprendre à lâcher prise sur mes exigences. Par exemple, le fait d’être complètement débutante en poterie m’amène à une certaine douceur avec moi-même : bien sûr, je dois m’y reprendre à plusieurs fois pour obtenir la jolie pièce que j’imagine ; bien sûr, mes premières pièces sont imparfaites, mais c’est aussi ce qui fait leur authenticité.
Lorsque vous débutez une activité, il y a nécessairement des imperfections, des maladresses, des moments où vous devez tout recommencer. Et c’est parfaitement normal. Le fait de vous lancer souvent de petits défis – « et si je testais ce cours d’aïkido ? », « et si j’allais à cet atelier de pâtisserie vegan ? » – va vous permettre, en pratiquant, de lâcher prise sur vos attentes trop élevées.
Développez votre autocompassion
Lorsque vous atteignez vos objectifs et réussissez, il vous est sans doute facile de vous aimer. Cependant, lorsque des difficultés surviennent, lorsque les résultats ne sont pas si bons, vous aurez tendance à être davantage critique et sévère avec vous-même.
En psychologie positive, l’autocompassion consiste à manifester de la compassion envers soi-même en cas d’insuffisance perçue, d’échec ou de souffrance. Kristin Neff, chercheuse en psychologie, a défini l’autocompassion comme étant composée de 3 éléments principaux : la bienveillance envers soi, le sentiment d’humanité commune et la pleine conscience.
Exercice N° 5 : La pratique de l’autocompassion
Lorsque vous faites une erreur ou lorsque vous n’atteignez pas un objectif donné, prenez un moment pour vous parler avec gentillesse, comme vous le feriez pour un·e ami·e. Vous pouvez prendre le temps de consigner ces mots réconfortants, par écrit, comme une courte lettre d’autocompassion à vous-même.
Exercice N°6 : Parlez ouvertement de vos erreurs avec un·e ami·e
Brené Brown, chercheuse et autrice de La force de l’imperfection (Leduc, 2014) propose de cultiver le « courage d’être imparfait ». Elle recommande, entre autres exercices, de partager ouvertement avec un.e ami·e bienveillant·e une situation où vous avez ressenti de la honte liée au perfectionnisme. Racontez-lui cette erreur que vous avez commise au travail. Observez comment le fait d’en avoir parlé vous aide à réduire l’intensité de cette honte.
Pour aller plus loin, vous pouvez lire notre article sur la créativité comme chemin d’apaisement.